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Thérapeutique

26 fév 2025

Nanothérapeutiques dans la prise en charge de l’insuffisance rénale aiguë, une médecine d’ultra-précision

Romain ARRESTIER, médecine intensive et réanimation, Hôpital Henri-Mondor AP-HP, Créteil

L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est fréquente et grave, elle est responsable de 1,7 million de décès annuels dans le monde et est un facteur de risque majeur d’insuffisance rénale chronique. Certaines étiologies d’IRA bénéficient de traitement spécifique, notamment lorsqu’une étiologie extra-rénale existe comme dans les pathologies auto-immunes avec atteinte glomérulaire, mais en ce qui concerne les atteintes tubulaires, qu’elles soient d’origine ischémique, toxique ou obstructive, aucun traitement n’a à ce jour démontré une efficacité et nous en sommes réduits à une prise en charge symptomatique en attendant une éventuelle récupération rénale spontanée.

La dexaméthasone (Dex) a montré un effet protecteur sur les cellules épithéliales rénales au cours de modèles expérimentaux d’IRA, notamment sur les cellules tubulaires proximales (PTEC). Toutefois, l’absence de spécificité rénale de ce traitement peut diluer et donc réduire son effet positif et entrainer des effets secondaires systémiques délétères qui sont responsables de l’absence de bénéfice sur la fonction rénale dans les études cliniques et limite son utilisation. L’équipe américaine de Funahashi publie en juillet 2024 dans Kidney International, une étude expérimentale qui explore la possibilité d’administrer de la Dex de façon ultra-ciblée au niveau des PTEC grâce à l’utilisation de nano-transporteurs (H-dot) dans l’hypothèse d’observer un effet protecteur au cours de l’IRA sans subir d’effets indésirables. Les H-dot sont des nanoparticules <100 nm chargées en agents thérapeutiques. Ici, ils sont constitués d’un squelette fluorescent et portent de la Dex et de la cilastatine (Cil), molécule se liant à la mégaline, un récepteur spécifique des PTEC, permettant ainsi l’endocytose ciblée. Les auteurs comparent quatre formulations : H-dot seul, H-dot/Dex et H-dot/Cil/Dex et Dex systémique. Leur étude comprend une partie mécanistique pour valider la spécificité et la pharmacocinétique du H-dot/Cil/Dex, suivie d’une phase d’évaluation clinique dans des modèles murins d’IRA (ischémie-reperfusion et rhabdomyolyse).   Partie mécanistique L’objectif de cette phase est d’évaluer la stabilité, la distribution et l’absorption cellulaire du H-dot/Cil/Dex afin de valider son ciblage spécifique des PTEC. Tout d’abord, la stabilité du nano-transporteur est testée en milieu acide pour simuler l’environnement urinaire. Le H-dot/Cil/Dex reste intact après une incubation prolongée dans une solution acide (pH 5), ce qui garantit que la Dex ne se libère pas prématurément dans l’urine avant d’atteindre les PTEC. Ensuite, la biodistribution est analysée par imagerie fluorescence après injection intraveineuse chez des souris. L’accumulation des nanoparticules est mesurée dans différents organes (rein, foie, rate, poumon) à l’aide d’un système d’imagerie in vivo puis ex vivo. Les résultats montrent une fluorescence rénale deux fois plus intense que dans les autres organes avec le H-dot/Cil/Dex tandis qu’aucune différence n’est observée avec les autres formulations, confirmant la spécificité du ciblage rénal. L’étude pharmacocinétique est réalisée par dosage plasmatique et urinaire à différents temps post-injection. Les résultats indiquent que la concentration urinaire de H-dot/Cil/Dex est plus faible que celle du H-dot/Dex, et que la dose de Dex délivrée aux reins est plus élevée après injection de H-dot/Cil/Dex en comparaison avec la Dex systémique et le H-dot/Dex, suggérant une meilleure captation et rétention rénale du H-dot/Cil/Dex. Pour confirmer ce point, l’élément clé est la validation du rôle de la mégaline dans l’endocytose du nano-transporteur par sa liaison à la cilastatine au niveau des PTEC. Pour cela, des expériences sont menées sur des souris knock-out pour la mégaline, ainsi que sur des cultures primaires de PTEC humaines en présence ou absence d’un inhibiteur de la mégaline (small interfering ARN). DansAprès injection du H-dot/Cil/Dex aucune fluorescence n’est détectée dans les reins des souris knock-out ni dans les cellules traitées avec l’inhibiteur, confirmant que la liaison de la cilastatine à la mégaline est nécessaire à l’absorption ciblée. Afin de valider la stabilité de cette liaison, les auteurs ont modélisés la quantité de Dex délivrée aux PTEC à différents niveaux de débit de filtration glomérulaire et à différents taux d’expression membranaire de mégaline, et démontrent que la quantité de Dex délivrée reste stable jusqu’à une diminution de 85% du DFG et 50% d’expression de la mégaline. Enfin, l’innocuité du traitement et l’absence d’effet secondaire sont évaluées par analyse hématologique et comportementale. Contrairement à la Dex libre, le H-dot/Cil/Dex ne diminue pas les taux de globules blancs circulants des souris et n’entraîne pas de comportement dépressif (évalué par un test de suspension par la queue), soulignant l’intérêt de cette approche pour minimiser les effets secondaires systémiques.   Partie clinique expérimentale L’efficacité thérapeutique du H-dot/Cil/Dex est évaluée dans deux modèles murins expérimentaux reproduisant des formes courantes d’IRA : Ischémie-reperfusion : après une laparotomie, les artères rénales des souris sont clampées de manière bilatérale pendant 25 minutes pour induire une hypoxie suivie d’un stress oxydatif à la reperfusion. Ce modèle mime les lésions tubulaires observées après un choc ou une transplantation rénale. Rhabdomyolyse : une injection de glycérol est réalisée dans la partie supérieure de la patte arrière des souris provoquant une destruction musculaire massive. Dans ces deux modèles, les effets du H-dot/Cil/Dex sont comparés à ceux de la Dex libre. Le nano-transporteur permet une meilleure préservation du débit de filtration glomérulaire (DFG), à 24h de l’agression rénale. De plus, il réduit significativement l’expression de KIM-1, un biomarqueur de souffrance tubulaire, indiquant une moindre atteinte des PTEC. À l’inverse, l’administration de Dex seule n’apporte aucun bénéfice notable, confirmant l’importance du ciblage spécifique pour obtenir un effet thérapeutique efficace.   Discussion En résumé, les auteurs ont montré que l’administration ciblée de dexaméthasone au niveau des cellules épithéliales du tubule proximal est possible grâce à un nano-transporteur associée à la cilastatine et que cette thérapie permet de limiter le stress cellulaire et la survenue d’une IRA dans deux modèles cliniques expérimentaux différents. Cette étude répond aux principaux défis de la thérapeutique de l’IRA : l’acheminement ciblé de petites molécules filtrables au niveau rénale et la réduction des effets systémiques. Elle combine une molécule connue (Dex) et une technologie innovante (nano-transporteurs). Cependant, plusieurs limites subsistent. La transposition à l’homme reste encore incertaine : les modèles murins sont simplifiés, et le traitement précoce ne reflètent pas toujours la réalité clinique. De plus, l’IRA humaine est souvent multifactorielle et survient chez des patients présentant de nombreuses comorbidités pouvant altérer la réponse attendue à un traitement. Enfin, le timing de l’agression rénale est rarement aussi bien caractérisé en pathologie humaine ce qui induit un risque de prise en charge retardée et dans l’étude les auteurs n’ont pas testé si une injection plus tardive de nano-transporteur aurait les mêmes effets qu’une injection précoce. Malgré ces limitations, cette approche pourrait trouver une application en chirurgie cardiaque ou transplantation rénale, où le timing de l’agression rénale est prévisible et contrôlé.   Conclusion De plus en plus, la néphrologie entre dans une ère de thérapies de précision et de super-spécialisation. Les nano-transporteurs sont un outil permettant de cibler spécifiquement certaines voies pathologiques, offrant un espoir pour l’IRA dont aucun traitement n’est efficace à ce jour. On peut également envisager leur utilisation dans d’autres pathologies néphrologiques en ciblant spécifiquement certaines cellules comme le podocyte dans le syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes, les cellules mésangiales dans la néphropathie à IgA, etc. Les publications sur cette thérapeutique sont de plus en plus nombreuses, comme le résume une revue parue dans le journal Nephrology Dialysis and Transplantation en 2023 et méritent toute notre attention (Sabiu et al. Targeted nanotherapy for kidney diseases: a comprehensive review. NDT 2023).

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