26 fév 2025
Les acides aminés : un traitement vraiment prometteur en prévention de l’insuffisance rénale aiguë ?
Mickaël BOBOT, AP-HM, Hôpital de la Conception, Marseille

L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est une problématique très fréquente puisqu’elle concerne environ 10 % des malades hospitalisés. Elle l’est encore plus en soins critiques ou en réanimation et est associée à une augmentation importante de la mortalité à court mais aussi à long terme, et au risque de MRC à long terme.
En particulier, l’IRA est une complication particulièrement fréquente en chirurgie cardiaque, surtout en cas de circulation extra-corporelle (CEC), concernant jusqu’à 40 % des patients opérés, du fait d’une réduction importante et brutale du débit sanguin rénal entraînant une hypoperfusion, une hypoxie tissulaire rénale notamment médullaire, des lésions inflammatoires et de nécrose tubulaire aiguë.
Contexte
De nombreuses stratégies thérapeutiques ont été essayées pour prévenir l’IRA en chirurgie cardiaque et en réanimation mais aucune molécule ne s’est révélée réellement efficace.
La perfusion d’acides aminés (AA) permet d’évaluer la réserve fonctionnelle rénale. En effet on sait depuis les années 1980, qu’une charge protéique intraveineuse fait augmenter le DFG par vasodilatation de l’artériole afférente, une diminution du feed-back tubulo-glomérulaire, et donc permettrait théoriquement d’exercer un effet néphroprotecteur en « recrutant » une réserve fonctionnelle rénale, limitant la perte néphronique en cas d’agression rénale. Quelques études de faible effectif en réanimation ont montré que la perfusion d’acides aminés permettait d’améliorer le DFG estimé, bien que l’effet sur la prévention réelle de l’IRA reste encore controversé à ce jour.
Résultats de l’étude PROTECTION
L’essai randomisé multicentrique international PROTECTION, dont les résultats sont parus en 2024 dans le New England Journal of Medicine par Landoni et al., a évalué l’intérêt de la perfusion d’un mélange d’acides aminés pour la prévention de l’IRA chez 3 512 malades adultes pris en charge en réanimation après chirurgie cardiaque avec CEC(1).
Les malades étaient randomisés pour recevoir une perfusion d’acides aminés (Isopuramin 10 %) à 2 g/kg/jour ou du lactate de Ringer de l’admission en salle opératoire, jusqu’à 72 heures ou au début de l’EER (épuration extra-rénale) ou le décès ou la sortie de réanimation. L’incidence de l’IRA était plus faible dans le groupe ayant reçu des acides aminés 474 vs 555 patients (26,9 % vs 31,7 % ; risque relatif 0,85 ; IC95% : 0,77-0,94, p = 0,002), mais principalement due à une réduction des IRA légères KDIGO 1, plus fréquentes : 430 vs 492 patients (24,4 % vs 28,1 %).
Survie sans IRA dans les 2 groupes de traitement, selon Landoni et al. 2024.
La créatininémie à 30 et 90 jours, la durée de séjour en réanimation et la mortalité n’étaient toutefois pas différentes dans les deux groupes.
Limites de l’article
Cet article présente plusieurs limites :
Premièrement, le diagnostic d’IRA n’était réalisé que sur le seul critère d’élévation de la créatinine sérique de la définition KDIGO seul, sans prendre en compte la diurèse, ce qui a pu sous-diagnostiquer les IRA en soins critiques, ou sous-estimer leur gravité, notamment en cas de séjour court, du fait du caractère tardif de l’élévation de la créatinine. Plus de la moitié des participants était recrutés dans le même centre. Environ 9 % des patients ont reçu une hémofiltration pendant le pontage cardiaque, rendant difficile l’interprétation des valeurs de créatininémie. La prise en charge de l’IRA n’était pas standardisée dans l’étude. Un arrêt de la perfusion des AA a eu lieu prématurément pour des raisons non médicales chez 109 patients au total (erreur, décision du médecin, logistique, etc.)(2).
L’étude n’apportait pas d’information sur les lésions tubulaires, notamment en utilisant des biomarqueurs de lésions tubulaires comme KIM-1, NGAL, IGFBP7, dont l’élévation est plus précoce et spécifique que la créatininémie, et qui aurait pu permettre de différencier un effet fonctionnel transitoire d’un un véritable effet sur la prévention des lésions tubulaires.
Qu’en conclure ?
Cette étude est l’un des seuls essais randomisés à avoir montré un potentiel effet bénéfique d’une stratégie médicamenteuse dans la prévention de l’IRA. Cependant, malgré une méthodologie solide (essai contrôlé randomisé multicentrique de grande envergure), ces résultats encourageants doivent être interprétés avec prudence, cet article comportant des limites importantes, qui ne permettent pas de trancher entre un réel effet néphroprotecteur des AA, un effet prévenant les IRA essentiellement pré-rénales, ou une simple diminution transitoire de la créatininémie par mécanisme hémodynamique.
L’effet potentiellement néphroprotecteur des AA reste à démontrer dans d’autres situations d’IRA, et surtout sur la fonction rénale à plus long terme. On attend avec impatience d’autres études d’envergure pour confirmer ou non la place des AA comme traitement tant attendu pour prévenir l’IRA et ses complications.
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