Thérapeutique
10 juil 2024
Quel schéma de corticoïdes dans les néphropathies lupiques stade III ou IV ?
Charles RONSIN, CHU de Nantes
Dans les années 1920, le composant « E » du cortex adrénal des glandes surrénales animales est extrait par le Docteur Edward Kendall à la Mayo Clinic. Ce n’est qu’après la guerre que le composant « E », la cortisone, est synthétisé et injecté à une jeune femme souffrant de polyarthrite rhumatoïde(1). À partir de la cortisone, d’autres préparations de glucocorticoïdes sont développées pour traiter les maladies auto-immunes y compris le lupus, améliorant considérablement le pronostic des patients(1).
Malgré une efficacité incontestable, les glucocorticoïdes exposent à un risque infectieux et cardiovasculaire qui sont la 1re et la 3e cause, respectivement, de mortalité chez les patients lupiques(2). Il faut donc mettre en balance l’efficacité immunosuppressive et anti inflammatoire des corticoïdes avec le risque infectieux/cardiovasculaire et trouver le schéma de corticothérapie optimal.
L’étude MYLUPUS(3) a testé deux schémas de corticothérapie après 3 boli de 500 mg chez des patients principalement d’origine caucasienne ayant des classes III et IV et traités par du Myfortic® : un schéma « standard » avec une corticothérapie à 1 mg/kg et une cible entre 5 et 10 mg/j à M6 selon le poids du patient et un schéma à faible dose : 0,5 mg/kg/j avec une cible entre 2,5 et 5 mg/j à M6 selon le poids du patient. Dans cette étude ayant intéressé peu de patients (39 patients dans le groupe standard et 41 dans le groupe faible dose), il n’y avait pas de différence significative de réponse complète ou partielle à M6 entre les deux groupes. Il existait, néanmoins, numériquement moins de patients ayant une réponse complète et partielle dans le groupe « faible dose ». En dehors de cette étude de petite taille, aucune autre étude randomisée ne s’est intéressée spécifiquement aux doses de corticoïdes dans la phase initiale de la néphropathie lupique stade III et IV. En conséquence, l’utilisation de méthylprednisolone, la dose initiale et le schéma de décroissance sont très variables en fonction des cliniciens et basés principalement sur leurs opinions personnelles.
L’équipe de la Mayo Clinic a réalisé une revue systématique et une méta-analyse sur l’utilisation des corticoïdes sur la réponse complète (protéinurie < 0,5 g/24 h et stabilisation de la créatinine +/- 25 %), les infections sévères et le décès toute cause chez les patients porteurs de néphropathie lupique. Les bras « standard of care » des essais randomisés de néphropathie lupique avec un traitement d’induction par mycophénolate mofétil/acide mycophénolique (MPAA) ou du cyclophosphamide et un traitement d’entretien par azathioprine ou MPAA associés à un protocole précis de corticoïdes étaient inclus. Une analyse de la littérature grise était également réalisée.
Les schémas de corticoïdes étaient définis par des doses initiales per os « faible » si ≤ 0,5 mg/kg ou ≤ 30 mg/j et haute si > 0,5 mg/kg ou > 30 mg/j. La décroissance était dite rapide si ≤ 7,5 mg/j de corticoïdes à M4, lent si > 7,5 mg/j de corticoïdes à M4.
Sur 5 851 études analysées, 37 essais randomisés étaient inclus, comprenant 50 bras de traitement et incluant 3 231 patients. Pour les bras comprenant de la methylprednisolone, la dose médiane était de 0,75 g/j et une durée médiane de 3 jours. À 6 mois, le taux de réponse complète, infections sévères et décès avec une dose faible de corticoïdes (25 mg/j) étaient de 19,5 %, 3,2 % et 0,2 %. Par comparaison, avec des doses initiales élevés (60 mg/j) ces taux augmentaient à 34,6 %, 12,1 % et 2,7 %. L’ajout de boli de méthylprednisolone augmentait le taux de rémission complète de 19,5 % à 25 % chez les patients avec des doses faibles de corticoïdes orales et de 34,6 à 42 % chez les patients avec des fortes doses orales de corticoïdes sans augmenter le risque infectieux. Il n’y avait pas de différence significative sur le taux de réponse complète, d’infection et de mortalité à 6 mois selon la décroissance rapide ou lente des corticoïdes.
L’ajout de boli de méthylprednisolone augmentait le taux de réponse complète et la mortalité sans augmenter le risque infectieux à M6.
Cette méta-analyse a montré un taux de réponse complète plus important chez les patients traités par de forte dose de corticoïdes, aux prix d’infections sévères plus fréquentes et d’une augmentation de la mortalité à 6 mois. Les doses initiales de corticoïdes doivent être individualisées selon les risques inhérents à la corticothérapie de chaque patient.
On peut néanmoins en conclure les points suivants : (i) les boli de méthylprednisolone permettent une augmentation du taux de réponse complète sans augmenter le risque infectieux, (ii) le taux d’infection sévère à M6 quadruple en cas d’utilisation de corticoïdes à 60 mg/j initialement et (iii) la décroissance rapide (≤ 7,5 mg à M4) est numériquement (non significatif) associée à moins de réponse complète, infection et décès à 6 mois. Un schéma de boli de méthylprednisolone associés à une corticothérapie orale à 0,5 mg/kg/j en traitement d’attaque semble donc à privilégier chez les patients porteurs de néphropathie lupique III/IV avec décroissance rapide chez les patients à risque infectieux. Un schéma avec de plus fortes doses de corticoïdes (boli et 1 mg/kg maximum 60 mg/j) peut être choisi chez les patients ayant les formes les plus inflammatoires (par exemple, les formes « vascularitique » avec un tableau de GNRP, > 50 % de croissant et/ou la présence d’ANCA MPO ou PR3 positif).
Un abstract présenté à l’ACR 2023(4) rejoint les résultats de l’étude ci-dessus. Ils ont comparé les bras standards « faible dose de corticoïdes » des essais voclosporine, obinituzumab et anifrolumab (boli de méthylprednisolone de 500 à 3 000 mg puis 20-25 mg/j ou 0,5 mg/kg + MMF) versus les bras standard « forte doses de corticoïdes » des essais rituximab, ocrélizumab, abatacept (0,5-1 mg/kg de prednisone + MMF ou cyclophosphamide et des boli de méthyldprednisolone uniquement dans l’essai rituximab). Il n’y avait pas de différence de réponse complète à la fin des études (durée variable) selon la présence de forte dose ou faible dose + boli de corticoïdes.
Les infections et l’augmentation du risque cardio-vasculaire augmentent même avec de faibles doses de corticoïdes(5,6) poussant la communauté scientifique à « l’épargne » cortisonique dans les maladies auto-immunes comme les vascularites à ANCA ou le lupus. Dans les néphropathies lupiques, l’obinituzumab, la voclosporine et le bélimumab semblent permettre de diminuer les doses de corticoïdes sans rechute(7-9). Pour les patients les plus à risque d’événements indésirables en lien avec la corticothérapie, l’utilisation de rituximab 1 g J1-J15 associée à du MMF et sans corticoïde (essai RITUXLUP) permet d’atteindre la réponse complète ou partielle chez la majorité des patients(10). Le PHRC OBILUP pour les classes III ou IV comparant un traitement standard par corticoïdes + MMF versus MMF + obinituzumab (sans corticoïdes ou < 10 mg/j pour les atteintes extra-rénales) est en cours.
Pour conclure, des schémas « faible dose » de corticothérapie sont possibles à la phase initiale des stade III/IV des néphropathies lupiques avec un taux de réponse complète raisonnable et un moindre taux d’infections.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :