26 fév 2025
Le jeûne intermittent peut-il régénérer les reins ?
Simon VILLE, CHU de Nantes

Nous savons que les podocytes peuvent être la cible d’agressions, de différentes natures, qui peuvent toutes concourir à leur perte et au développement d’une insuffisance rénale. Nos patients sont déjà astreints à un régime plus ou moins strict notamment au regard de la quantité de protéine, ce qui permet de limiter la dégradation de la fonction rénale, notamment en jouant sur l’activation du SRAA.
Le Pr Longo est un gériatre et biologiste américain qui a développé un régime intitulé « fasting mimicking diet » (FMD) qu’on pourrait traduire par régime mimant le jeûne qui consiste à réduire drastiquement ses apports sur des périodes de quelques jours. Les effets positifs de ce régime ont été montrés à la fois dans des modèles expérimentaux mais aussi parfois chez des patients, dans l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires mais aussi le cancer, la sclérose en plaques ou encore la maladie d’Alzheimer. Il a cette fois, avec Laura Perin, une chercheuse basée à Los Angeles, cherché à étudier l’effet de ce régime sur le rein. Ils ont trouvé que cela irait bien au-delà de la néphroprotection en permettant une régénération des cellules rénales. Les résultats de cette étude viennent d’être publiés dans Science Translational Medicine (Villani, octobre 2024).
Pour étudier leur régime (qu’ils ont pris soin d’adapter à la situation de la maladie rénale chronique en diminuant les apports en sel et potassium et en phosphore), ils ont choisi un modèle expérimental classique de maladie glomérulaire toxique aiguë : l’injection de puromycin aminonucleoside (PAN) à des rats.
Comme on pouvait s’y attendre les animaux mis à jeun pendant 4 jours perdent du poids mais rejoignent les animaux contrôles après quelques jours lorsqu’ils ont à nouveau accès à l’alimentation. Pendant la période de jeûne, ils ont tendance à manger leur ration en une seule fois et à boire moins d’eau, alors que les échanges respiratoires et la production de chaleur baisse.
Les rats injectés avec le PAN sont donc soumis ou non, à partir de J14, à 6 cycles de FMD chacun consistant en 4 jours de jeûne suivis d’une semaine de régime normal, et cela donne des résultats : après 6 semaines, les animaux ayant jeûné ont un ratio albuminurie créatininurie (RAC) abaissé et moins de lésions tubulaires en histologie.
Bien sûr, dans la suite de leur étude, les auteurs essaient de comprendre quels mécanismes expliquent cet effet. Pour ce faire, ils utilisent principalement des analyses transcriptomiques de nouvelles générations sur le tissu rénal, ce qui fait aussi l’intérêt de cette étude. Ils débutent avec de la transcriptomique spatiale sur les reins prélevés tardivement, à 6 semaines, et trouvent que ceux des rats ayant jeûné ne diffèrent pas des rats contrôles n’ayant pas été intoxiqués (à l’inverse de ceux intoxiqués qui n’ont pas fait de FMD). Cela revient à dire que le régime a permis de restaurer le profil transcriptionnel caractéristique d’un rein sain.
Puisque l’intoxication par le PAN est un modèle d’agression glomérulaire, les auteurs focalisent ensuite sur les glomérules (sur les spots enrichis dans les gènes marqueurs WT1, Nphs1, Nphs2). Ils constatent alors que ces spots sont plus nombreux les animaux ayant jeûné et qu’un certain nombre de gènes sont exprimés différentiellement. En particulier, les animaux ayant fait la FMD expriment davantage de gènes caractéristiques de l’oxydation des acides gras et de la glycolyse aérobie, ce qui est interprété comme un signe d’homéostasie métabolique. Ces résultats sont validés par des analyses histologiques plus conventionnelles qui montrent moins de lésions de glomérulosclérose et moins d’hypertrophie glomérulaire chez ces mêmes animaux. Ce dernier point est essentiel en effet les techniques de transcriptomique dites non supervisées sont très puissantes car elles permettent l’émergence d’hypothèses issues de l’analyse des données, mais il faut garder à l’esprit que ces dernières doivent ensuite être confirmées par d’autres moyens.
Pour avoir une idée plus fine de l’effet de la FMD, les auteurs font ensuite une analyse transcriptomique sur certains gènes ciblés à un temps plus précoce, c’est-à-dire à la fin de la première période de jeûne puis 24 et 72 heures après la reprise d’un régime standard. Ils mettent alors en évidence une augmentation de gènes impliqués dans les interactions cellules mésangiales/podocytes (Pax2, Sox9) et même de gènes impliqués dans le développement des glomérules y compris certaines caractéristiques des cellules souches pluripotentes embryonnaires (Myc, Nanog). Ces résultats, confirmés au niveau protéique, suggèrent que le jeûne au-delà de reverser les modifications transcriptomiques induites par l’agression, favorise des processus de régénération, de réparation.
Pour aller plus loin, les auteurs utilisent la technologie du single nucleus RNA seq (snRNAseq) sur les reins des animaux contrôles ou ayant jeûné, aux mêmes temps (fin du 1er jeûne puis à 24 et 72 heures). Cette technique est révolutionnaire car elle permet :
– d’identifier les différents types cellulaires d’un tissu sans a priori, c’est-à-dire que l’on peut mettre en évidence des types cellulaires (on dit des clusters) auxquels on ne s’attendait pas et les identifier en les « annotant » à partir des gènes qu’elles expriment ;
– d’estimer la proportion de chacun des sous-types cellulaires ;
– de comparer l’expression des gènes au sein d’un type cellulaire selon les conditions (traitées ou non).
En appliquant ces principes, les auteurs confortent leur hypothèse. Ils se focalisent d’abord sur les podocytes qu’ils trouvent plus nombreux chez les animaux ayant jeûné et surtout avec un profil enrichi pour les gènes du développement. Des analyses de trajectoires montrent également un continuum entre 5 différents clusters de podocytes (C1 à C5), C1 correspondant à un stade de précurseur des podocytes et C5 à des podocytes différenciés, le phénomène étant plus marqué dans les reins des rats ayant jeûné. Dans la suite de l’analyse, les auteurs s’intéressent aux autres types cellulaires (cellules mésangiales et tubulaires), dont les données sont bien sûr aussi accessibles avec le snRNAseq, et trouvent des résultats assez similaires.
Dans la suite de l’étude, les auteurs font l’hypothèse que le jeûne pourrait aussi permettre aux podocytes de se maintenir en phase latente du cycle cellulaire (G0). Le maintien des podocytes dans un état quiescent est en effet essentiel au maintien de leur intégrité et à l’inverse leur prolifération dans des situations de stress aboutit à leur détachement puis à leur perte. Alors que cette hypothèse se trouve en partie validée par les analyses transcriptomiques décrites précédemment dans le modèle de toxicité du PAN, les auteurs explorent aussi cette hypothèse dans un modèle qu’ils jugent plus adapté. Il s’agit d’un modèle où les souris développent spontanément un syndrome d’Alport et dans lequel la phase du cycle cellulaire des podocytes peut être étudiée facilement par cytométrie de flux car ils expriment le FUCCI (fluorescent ubiquitination–based cell cycle indicator). De cette façon ils démontrent qu’un seul cycle de jeûne permet de promouvoir le maintien des podocytes en phase G0 en comparaison d’un régime standard.
Enfin dans un dernier paragraphe de résultats, les auteurs expliquent qu’ils ont appliqué le concept de la FMD (3 cycles sur 3 mois) à 13 patients avec une maladie rénale chronique secondaire à différents types de maladie glomérulaire qui ne recevaient qu’un bloqueur du SRAA (IgA, GEM, HSF, LGM). Après trois mois, ils avaient perdu du poids mais gagné en masse maigre, en force musculaire, amélioré les paramètres lipidiques et d’inflammation et se sentaient mieux. Le RAC était aussi diminué mais pas la créatininémie. Les données à 1 an, disponibles pour 10 patients montraient une persistance de l’effet sur la protéinurie et la CRP. Enfin les patients présentaient une augmentation (x3) dans le sang périphérique de cellules CD24+CD133+CD45- considérées comme des progénitrices de cellules rénales.
Cette étude suggère donc que des cycles de FMD pourraient avoir un impact positif dans les maladies rénales en évitant aux podocytes d’entrer dans le cycle cellulaire et en favorisant leur régénération, un phénomène déjà observé avec d’autres types cellulaires dans d’autres organes, le concept général étant que le jeûne induit une « atrophie » suivie d’une réexpansion lors de la reprise d’une alimentation normale (Brandhorst, Cell Metab 2015).
Cette étude comporte bien sûr de très nombreuses limites que ce soit dans la partie expérimentale et plus encore dans la tentative de translation aux patients, néanmoins elle est remarquable en ce qu’elle montre comment l’utilisation de nouvelles technologies permet d’aider à élucider les mécanismes par lesquels une intervention peut impacter un organe tel que le rein.
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