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Transplantation-Greffe

10 juil 2024

Transplantation rénale - Anti-CD38 dans le traitement du CA-ABMR : quand une cellule peut en cacher une autre

Simon VILLE, CHU de Nantes

Dans les années 80, la transplantation rénale est devenue une réalité avec l’introduction de la ciclosporine en permettant de diminuer drastiquement l’incidence du rejet aigue cellulaire qui limitait jusqu’alors sa faisabilité. Quarante ans après, bien que la moitié des patients transplantés décèdent avec un greffon fonctionnel, les autres le perdent, avec pour une bonne proportion d’entre eux une cause immunologique. En effet, alors qu’au tournant des années 2000 on a pu penser ce problème dépassé, les pertes de greffon étant expliquées par la toxicité de inhibiteurs de la calcineurine (ciclosporine puis tacrolimus), le rejet a fait son retour sous une autre forme.

Les progrès faits dans la détection des anticorps anti-HLA (luminex) couplés à la redécouverte du marquage par le C4d et à la mise en évidence, en particulier dans les biopsies protocolaires, d’inflammation de la microcirculation (capillarite et glomérulite), ont peu à peu dessiné les contours du rejet médié par les anticorps (ABMR). Il est alors apparu que certains patients développent des anticorps contre les molécules de HLA de leur donneur (DSA) et que de façon aigue (acute ABMR) ou plus insidieuse (chronic active ABMR ou CA-ABMR pour chronic active antibody-mediated rejection), la présence de ces anticorps au contact des cellules endothéliales en activant le complément et/ou via l’effet cytotoxique de cellules ayant des récepteurs pour les immunoglobulines (antibody dependent cellular cytotoxicity, ADCC), favorise le développement d’une glomérulopathie d’allogreffe. Cela, en parallèle au développement d’une fibrose interstitielle et d’une atrophie tubulaire (FIAT) va inexorablement conduire à la perte du greffon. À ce jour lorsque ce phénomène est enclenché, aucun traitement ne peut l’enrayer et les néphrologues en sont réduit à mettre les patients sous trithérapie (CNI + antimétabolite + stéroïdes) sans que son efficacité soit démontrée. Les traitements successivement essayés ont naturellement été ceux ciblant la production des DSA et donc la lignée B, à mesure qu’ils étaient développés en hématologie pour traiter les hémopathies lymphoïdes. Mais ni le rituximab ciblant les lympocytes B, pourtant efficace dans de nombreuses maladies impliquant des auto-anticorps, ni le bortezomib ciblant les plasmocytes, principaux pourvoyeurs d’anticorps, n’ont montré d’efficacité. Plus récemment des anticorps ciblant le CD38 présent à la surface des plasmocytes ont été introduits avec succès dans le traitement du myélome, et c’est donc assez naturellement qu’ils ont été testés dans l’ABMR dans un essai randomisé de phase 2, contrôlé avec un placebo, dont les résultats ont été communiqués à l’ERA-EDTA à Stockholm et publiés dans le NEJM fin mai (1). Onze patients avec un ABMR (1/3 active et 2/3 chronic active, en moyenne 9 ans après la greffe) ont donc reçu neuf injections de felzartamab sur 6 mois, suivi d’une période d’observation de 6 mois. Alors que le critère de jugement principal était la sécurité, de nombreux critères secondaires ont été évalués. Bien que les patients aient présentés des réactions lors de l’injection, il n’y a eu qu’un effet indésirable sévère dans le groupe felzartamab et 4 dans le groupe placebo. Cette bonne tolérance notamment au niveau des complications infectieuses était en accord avec la cinétique des taux de virus TTV, non différente entre les deux groupes. En effet les taux circulant de ce virus sont utilisés pour évaluer la charge globale d’immunosuppression (ils montent en cas de sur-immunosuppression). Mais le résultat majeur de cette étude est l’analyse de l’inflammation microvasculaire qui reflète l’activité de l’ABMR, en effet les patients avaient une biopsie à l’inclusion, à 6 mois et à 12 mois. Dans le groupe expérimental 9/11 patients ont vu cette inflammation se nettoyer à 6 mois contre 2 dans le groupe placebo, à 12 mois (après 6 mois sans traitement), 3 des 9 patients sans inflammation à 6 mois en présentaient de nouveau. La différence de la pente de décroissance de DFGe n’était pas différente à 1 an mais le recul était insuffisant de même que le nombre de patients. De façon très intéressantes, d’autres éléments ont été recueillis qui permettent de mieux comprendre comment le traitement a pu agir. En effet, alors que façon peut être inattendue aucune différence n’était constatée au niveau du taux des DSA, les patients sous CD38 avaient une baisse presque significative de leur taux de NK-CD16+ dans le sang périphérique à 6 mois. Au niveau des biopsies, des analyses transcriptomiques retrouvaient aussi un score « NK-cell burden » abaissé chez les patients traités à 6 mois avec un rebond à 12 mois. Mais pourquoi avoir évalué les taux circulants de cellules NK ? et comment leur déplétion aurait pu agir sur l’activité de l’ABMR ? Au-delà des plasmocytes, le CD38 est aussi exprimé par une part des cellules NK. Ainsi dans les essais chez les patients atteints de myélome une telle déplétion de cellules NK (sûrement pas d’autres cellules NK via ADCC, un effet dit fratricide) avait bien été constatée, sans que cela semble augmenter le risque infectieux peut être du fait d’une activité NK résiduelle. Dans le cas du traitement de l’ABMR, cette déplétion des cellules NK en particulier celle positive pour le CD16 (le Fc récepteur nécessaire à l’ADCC), pourrait avoir du sens. Au-delà de l’activation du complément, l’ADCC médiée par les NK est certainement une composante des mécanismes effecteurs de l’ABMR mis en jeu en présence de DSA à la surface des cellules endothéliales des greffons. Les auteurs font même l’hypothèse que ce mécanisme d’action pourrait être mis à profit dans les rejets micro-vasculaires sans DSA, une entité faisant aussi faire intervenir les NK via un autre mécanisme (hypothèse du missing self), néanmoins non représentée dans l’étude.   Le fait que les patients aient pu bénéficier d’une troisième biopsie à 12 mois, 6 mois après l’arrêt du traitement apporte aussi un élément crucial à savoir que le traitement semble seulement suspensif, l’inflammation étant déjà de retour chez 1/3 des patients. On imagine alors s’agissant de lésions évolutives comme le CA-ABMR, qu’il faudrait maintenir ou répéter le traitement. En se basant sur quel marqueur d’activité ? Les DSA ne semblant pas en être un dans ce contexte, les auteurs proposent d’utiliser le cell-free DNA circulant du donneur, qui dans l’essai semblait corrélé à la réponse au traitement et à la rechute chez certains patients. Cet article illustre qu’à une époque où la physiopathologie des maladies est de mieux en mieux comprise, permettant d’envisager des traitements ciblés, une certaine dose sérendipité demeure. L’histoire de la médecine est pleine de tels progrès due au hasard, ayant eu des conséquences majeures. Il est encore un peu tôt pour le dire mais nous assistons peut-être à un nouvel épisode de cet ordre à l’échelle de la greffe rénale. Finalement peu importe la manière pourvu que les patients en tirent un bénéfice.

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