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Lithiases

04 oct 2024

Faut-il cesser de prescrire des diurétiques thiazidiques aux patients lithiasiques ?

Emmanuel LETAVERNIER, Hôpital Tenon, AP-HP

Les diurétiques thiazidiques sont utilisés comme traitement antihypertenseur mais également pour diminuer la calciurie des patients lithiasiques. Leur efficacité dans la prévention de la récidive lithiasique fait actuellement débat.

Les diurétiques thiazidiques ou thiazides, dont le chef de file est l’hydrochlorothiazide en France, sont utilisés depuis les années 1950, notamment comme traitement de l’hypertension artérielle. Leur efficacité et leur faible coût en ont fait un traitement de choix dans le monde entier, souvent en association avec des inhibiteurs de conversion de l’angiotensine ou des sartans. Les diurétiques thiazidiques peuvent diminuer la calciurie, classiquement via la contraction du volume plasmatique qui induit une réabsorption accrue de calcium dans le tubule proximal. L’hypercalciurie étant un des principaux facteurs de risque de lithiase rénale, cette classe de médicaments est devenue très populaire dans la prévention secondaire de la maladie lithiasique lorsque les mesures diététiques se révèlent insuffisantes pour normaliser la calciurie. Ces diurétiques ont aussi un effet favorable sur la masse osseuse (le niveau de preuve dans ce domaine reste assez faible), renforçant l’intérêt de ces traitements chez les patients lithiasiques qui sont à haut risque de déminéralisation et de fracture osseuse.   Contexte récent Aux effets potentiellement délétères de ces traitements (baisse non souhaitée de la pression artérielle, hypokaliémie, hyperuricémie, rash cutané et élévation de la glycémie) s’est ajoutée une inquiétude sur un risque accru de carcinomes cutanés. Ce risque théorique a probablement été un frein à certaines prescriptions, mais les études récentes sont discordantes sur ce sujet et le débat n’est pas tranché. En 2023, la première étude randomisée contrôlée dédiée à l’effet de différentes doses d’hydrochlorothiazide sur la récurrence de la maladie lithiasique (étude NOSTONE) a été publiée(1). Le traitement a eu un effet faible sur la diminution de la calciurie et surtout le critère principal de l’étude qui était l’incidence de la récidive à 3 ans (critère composite incluant récidive clinique/symptomatique et radiologique) n’a pas permis de démontrer une supériorité des diurétiques thiazidiques sur le placebo, quelle que soit la dose. Dans une lettre récente publiée dans le journal JAMA Network Open, Hsi et al. identifient au contraire un effet important des thiazides sur la réduction de la calciurie, associée à une diminution du risque de récidive(2).   Méthodes de l’étude Les auteurs ont utilisé une base de données (Medicare-Litholink4), identifiant les adultes souffrant de calculs rénaux qui ont eu une première collecte d'urine de 24 heures entre 2011 et 2018, qui se sont vu prescrire des thiazides (hydrochlorothiazide, chlorthalidone ou indapamide) dans les 6 mois suivant la collecte d'urine et qui ont également eu une collecte de suivi entre 30 et 180 jours après leur première prescription.  Les variations de calciurie ont été évaluées en fonction des doses de thiazides. Des modèles de régression linéaire multivariés ont été utilisés. La diminution de la calciurie a été divisée en tertiles et l’incidence des événements symptomatique a été étudiée à l’aide de la méthode Kaplan-Meier et de modèles de Cox.   Principaux résultats de l’étude L'étude a inclus 634 participants (âge moyen 67,6 ans ; 339 hommes et 295 femmes). Il existait une association significative entre la dose de thiazides reçue et la diminution de la calciurie des 24 h (faible dose : -79,3 mg/24 h ; dose moyenne : -94,1 mg/24 h ; forte dose : -104,6 mg/24 h ; p = 0,04). L'incidence cumulative ajustée d'un calcul symptomatique à 4 ans était respectivement de 28,8 %, 19,5 % et 18,0 % pour les patients dans les tertiles de dose de thiazides faible, moyenne ou forte (p = 0,04, figure). L'augmentation de la dose de diurétiques a donc été associée à des réductions plus importantes de la calciurie, et a été négativement corrélée avec les événements symptomatiques liés aux calculs. Les auteurs concluent que l’effet bénéfique des diurétiques thiazidiques observé s’explique par une diminution plus importante de la calciurie que dans l’étude NOSTONE (où la diminution de la calciurie était de -42 à -51 mg/24 h par rapport au placebo). Figure. D’après Hsi et al. 2024.   Que conclure de cette étude ? Contrairement à l’étude NOSTONE, il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective, non randomisée avec tous les biais et limites méthodologiques inhérents, et on pourrait lui donner peu de valeur en regard de l’étude NOSTONE. Les résultats de l’étude NOSTONE méritent toutefois d’être regardés de près. Tout d’abord de nombreux patients inclus dans l’étude Suisse n’avaient pas d’hypercalciurie et même si les auteurs ont montré qu’il n’y avait pas de différence entre les patients hypercalciuriques et les autres, la pratique fréquente est plutôt de réserver les thiazides aux patients hypercalciuriques. Deuxièmement l’étude NOSTONE n’est pas complètement « négative » et le critère radiologique a montré un bénéfice de l’utilisation des thiazides au bout de 3 années (moins de calculs dans les reins). On peut imaginer qu’une étude plus prolongée aurait démontré un bénéfice des thiazides même si les auteurs de l’étude n’ont pas observé de tendance en ce sens. Enfin et c’est le point le plus important, les patients de l’étude NOSTONE avaient une consommation de sel élevée (11-12 grammes/jour) et on sait que les apports sodés élevés, en empêchant la contraction du volume plasmatique, limitent l’effet hypocalciuriant des thiazides. L’étude de Hsi et al. ne donne malheureusement pas de détails sur les apports sodés des patients (possiblement élevés chez des patients américains...). Il est intéressant également de mentionner que l’analyse des calculs n’a été prise en compte dans aucune de ces deux études : on peut supposer (sans preuve formelle) qu’un diurétique thiazidique sera plus intéressant pour traiter un calcul majoritaire en weddellite (oxalate de calcium dihydraté) lié à une hypercalciurie qu’un calcul majoritaire en whewellite (oxalate de calcium monohydraté) lié à une diurèse insuffisante.   Que proposer en pratique ? La méthodologie utilisée dans l’étude de Hsi et al. ne permet pas de réfuter l’étude NOSTONE mais illustre qu’une baisse importante de la calciurie est probablement nécessaire pour obtenir un effet favorable sur la récidive lithiasique, ce qui parait évident d’un point de vue physiopathologique. Les diurétiques thiazidiques ne doivent pas être proposés aveuglément à tous les patients lithiasiques, et c’est là un enseignement clair de l’étude NOSTONE, mais une attitude raisonnable peut-être de proposer ces traitements à des patients qui ont des calculs récidivants et dépendants d’une hypercalciurie (rappelons l’importance du typage du calcul), une calciurie élevée et surtout capables de suivre un régime peu salé qui permette aux thiazidiques d’être efficaces. Il est simple de suivre l’effet sur la calciurie par la suite : si celle-ci diminue nettement le traitement peut être poursuivi, et à l’inverse interrompu si l’effet est modeste. L’existence d’une hypertension artérielle ou d’une déminéralisation osseuse associée sont des arguments supplémentaires pour la prescription. La kaliémie, la glycémie et éventuellement l’uricémie doivent être surveillés, et dans le doute une protection solaire doit être recommandée aux patients. Le débat sur l’efficacité des diurétiques thiazidiques dans la lithiase ne pourra probablement être tranché définitivement qu’avec une étude randomisée contrôlée prolongée dans le temps, et idéalement proposée à des patients sélectionnés chez qui le bénéfice du traitement est attendu.

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