18 déc 2024
Zéro, un, ou deux allèles à risque d’APOL1 : un réel risque incrémentiel de maladie rénale ?
Romain BROUSSE, CH Tenon, Paris
APOL1 est un gène qui code pour l’apolipoprotéine 1, protéine de transport de certains lipides ayant également un rôle de défense contre les trypanosomes africains et donc dite trypanolytique. L’association entre maladie rénale chronique et polymorphismes alléliques d’APOL1 a été mise en évidence à la fin des années 2000 et a permis d’expliquer en partie l’incidence accrue de l’insuffisance rénale chronique terminale chez les patients nés ou ayant des ancêtres nés sur le continent africain.
Ce lien entre maladie rénale et origines africaines est expliqué de la façon suivante : par pression de sélection, Trypanosoma brucei brucei aurait développé des mutations le rendant résistant à l’activité trypanolytique de l’apolipoprotéine 1. En conséquence, des mutations G1 (variation nucléotidique) puis G2 (délétion) restaurant une activité trypanolytique sur le parasite seraient apparues chez certains individus puis auraient persisté compte tenu de l’avantage sélectif. Jusqu’à présent, seuls les patients ayant deux variants pathologiques d’APOL1 (G1/G1, G1/G2 ou G2/G2) étaient dits « à haut risque » de maladie rénale chronique ou de lésions d’HSF, là où les patients qui n’avaient aucun (G0/G0) ou qu’un seul variant allélique G1 ou G2 d’APOL1 (G0/G1 ou G0/G2) étaient dits « à bas risque »(2). En effet, jusque-là, la présence d’un variant monoallélique n’avait pas été associée à un surrisque d’insuffisance rénale terminale(3,4), en tout cas jusqu’au présent travail. L’étude de Gbadegesin et al. est de type cas/témoins et a étudié l’association entre le nombre d’allèles à risque d’APOL1 et la maladie chronique à partir du stade 2 (définie comme un DFG inférieur à 90 mL/min/1,73 m2 selon l’équation CKD-Epi, une albuminurie > 30 mg/g ou les deux). Un total de 5 578 cas (4 712 personnes avec MRC stade 2 à 5 sans documentation histologique + 866 patients avec maladie rénale prouvée par biopsie rénale) et 2 777 témoins (patients indemnes de maladie rénale, recrutés principalement à l’église) ont été recrutés dans cette étude du consortium Human, Heredity and Health Africa (H3Africa) regroupant 9 centres nigérians et ghanéens. À noter que les modalités de recrutement des patients ainsi que les difficultés rencontrées par les investigateurs à mettre en place un consortium multicentrique binational ont été décrites de manière extrêmement intéressante dans un article publié en 2015(5). Le « scoop » de la présente étude est donc l’association des variants monoalléliques d’APOL1 avec la maladie rénale chronique. Les auteurs rapportent en ce sens qu’un seul allèle G1 ou G2 (donc un génotype G0/G1 ou G0/G2) suffit à induire une augmentation de 18% du risque de maladie rénale chronique par rapport à aucun allèle à risque (G0/G0). Ce risque est notamment évalué de manière multivariée, et est ajusté sur l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle, la pression artérielle moyenne au moment de l’évaluation de la maladie rénale, le tabagisme et le diabète sucré.
Le néphrologue doit-il donc désormais s’inquiéter de voir un génotype à risque « intermédiaire » d’APOL1 chez un patient qui lui est adressé en consultation, avec ou sans stigmate de maladie rénale ?
La réponse est loin d’être univoque et doit être contextualisée.
Premièrement, une proportion importante de patients à risque de maladie rénale chronique (cirrhotiques, insuffisants cardiaques sévères, avec néphropathie de reflux, traités récemment par chimiothérapie ou ayant une maladie rénale congénitale) ont été exclus de cette étude. Ainsi, l’impact des variants monoalléliques d’APOL1 peut difficilement être déterminé chez ces patients. Deuxièmement, le surrisque de maladie rénale chronique déclaré par les auteurs est un surrisque de 18 %, ce qui peut être considéré comme important à l’échelle de la population, mais modeste voire faible à l’échelle individuelle. Troisièmement, l’équation utilisée pour définir la maladie rénale chronique dans cette étude est l’équation CKD-Epi sans correction sur le facteur ethnique et sans indice laissant penser que les investigateurs aient vraisemblablement employé une équation CKD-Epi commune (de 2009, 2012 ou 2021). Ceci est important car les patients africains ou descendant de personnes nées sur le continent africain étaient sous-représentées au sein des cohortes de validation des études les plus anciennes, avec des performances de ces équations chez les africains pouvant être moindres que chez les patients caucasiens. Ceci est d’autant plus important que le groupe de patients avec maladie rénale chronique stade 2 est le plus représenté dans cette étude 1 852/5 578 (33 %), avec en ce sens un risque de diagnostic erroné de maladie rénale chronique chez les patients sans albuminurie. Par ailleurs, il est possible de débattre sur le caractère fondamentalement pathologique d’avoir un DFG entre 60 et 90 mL/min en l’absence d’autre stigmate de maladie rénale chronique. Troisièmement, le risque rapporté de +18 % de risque de maladie rénale chronique est quantifié à l’échelle de la population en groupant les patients G0G1 et G0G2, mais n’est pas donné en tant que risque individuel, un patient ne pouvant pas être G0/G1 et G0/G2, mais seulement l’un, ou l’autre. Dans cette étude, le génotype G0/G1 est associé à la maladie rénale stade 2 (OR ajusté = 1,23 ; IC95% 1,05-1,45) mais pas au stade 3 (OR ajusté = 1,04 ; IC95% 0,85-1,27) ou aux stades 4-5 (OR ajusté = 1,14 ; IC95% 0,96-1,36). Le génotype G0/G2 quant à lui est seulement associé à la maladie rénale chronique stade 4-5 (OR ajusté = 1,31 ; IC95% 1,05-1,64) mais pas aux stades plus précoces. De la même façon, si les génotypes G0/G1 et G0/G2 pris ensembles sont associés à la présence de lésions de hyalinose segmentaire et focale chez les patients biopsiés, à l’échelle individuelle, le génotype G0/G1 seul n’est pas statistiquement associé à ces lésions (OR ajusté = 1,49 ; IC95% 0,93-2,39) là où le génotype G0/G2 l’est avec un odd ratio ajusté de 2,05 (IC95% 1,19-3,54). Quatrièmement, si les analyses ont été ajustées sur les groupes ethniques (Akans, Gas, Ewes au Ghana, et les Igbos, Yorubas et Hausa/Fulani au Nigeria), elles n’ont pas été ajustées sur le statut socio-économique des participants, composante dont le poids dans la maladie rénale chronique est important(6).
Faut-il pour autant voir cette association entre génotypes « intermédiaires » d’APOL1 et maladie rénale chronique comme non-robuste, populationnelle, non individuelle, imparfaitement ajustée, quantitativement faible et donc non cliniquement pertinente ?
Il est possible que non, mais la présente étude ne permet pas de répondre à cette question.
En effet, la présence de variants à risque d’APOL1, même à l’état homozygote ou hétérozygote composite, ne suffit pas en elle-même à induire une maladie rénale chronique comme en témoigne les 25,7 % (n = 713/2 777) de sujets avec un génotype à risque et 43,6 % (n = 1 212/2 777) de sujets avec un seul allèle à risque au sein du groupe contrôle de cette étude et donc, sans MRC. Néanmoins les polymorphismes à risque d’APOL1 ont récemment été associés à un déclin accéléré de la fonction rénale dans des maladies telles que les GEM(7) ou certaines podocytopathies(8). Il est aussi possible que certaines situations induisant une grande synthèse d’interférons et donc d’apolipoprotéine 1 puissent engendrer une maladie rénale directement liée à l’action toxique d’APOL1 comme cela a pu être décrit après les épisodes palustres(9), le VIH (HIVAN)(3) ou le Covid (COVAN)(10). Ainsi il est possible qu’à terme, soient définies des maladies rénales médiées par APOL1 ainsi que des maladies rénales accentuées par APOL1 où celui-ci jouerait un rôle de « second hit ». À cet égard, l’effet des variants G1 ou G2 à l’état monoallélique sera vraisemblablement éclairci par le consortium H3Africa qui prévoit, à large échelle, d’analyser les données longitudinales d’évolution de la fonction rénale chez les patients inclus. Ces données devraient permettre de préciser la place des traitements ciblant l’apolipoprotéine 1 dont certains sont à l’étude dans des essais de phase 3.
Lecture critique de l’article de Gbadegesin et coauteurs(1), publié le 26 octobre dans le New England Journal of Medicine à l’occasion de l’American Society of Nephrology.
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