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Insuffisance rénale

29 mai 2024

Choisir le traitement conservateur dans l’IRC avancée : état des connaissances sur le point de vue du patient

Frédéric LAVAINNE, CHU de Nantes

Dans le cas de l’insuffisance rénale chronique (IRC) avancée, le traitement conservateur (TC) est souvent considéré comme une possibilité particulièrement pour les patients les plus âgés et les plus fragiles, pour lesquels la transplantation n’est pas réalisable, et la dialyse risque de n’apporter qu’un faible bénéfice en regard du fardeau du traitement et des complications attendues. Le choix entre la dialyse et le traitement conservateur est complexe, car un grand nombre d’options peuvent paraître « raisonnables » et avoir chacune un impact différent sur la vie du patient. C’est ce qui fait que ce processus décisionnel devrait se prêter particulièrement au concept de prise de décision partagée (PDP, shared decision making). Des études ont montré que l’implication du patient durant tout le processus de choix de la modalité de traitement était associée à une plus grande satisfaction par rapport à ce traitement. Pourtant, bien que les recommandations internationales préconisent la PDP, son utilisation reste limitée dans la pratique.

Les critères de prise de décision des professionnels de santé entre la dialyse et le traitement conservateurs ont déjà été bien décrits, mais nous manquons de données sur le point de vue du patient. L’étude présentée ici s’est donnée pour objectif de décrire l’état des connaissances sur le point de vue du patient dans le processus décisionnel vers le choix du traitement conservateur. Pour cela, les auteurs ont utilisé la méthode PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses (Page MJ, 2021). Les bases de la Cochrane Library, EMBASE et PubMed ont été interrogées, en associant les termes « insuffisance rénale chronique », « traitement conservateur » et « prise de décision », ainsi que leurs synonymes. Les articles retenus avaient pour sujet les modalités de choix du traitement initial, qu’ils considèrent le TC seul ou le TC et la dialyse, qu’il s’agisse d’études qualitatives ou quantitatives, en excluant les études qui ne comportaient pas de données rapportées par les patients, celles qui traitaient de l’arrêt de dialyse, et les revues de la littérature. Le choix des études pertinentes s’est fait par consensus entre les 2 auteurs principaux, qui ont ensuite évalué ces articles indépendamment, avec recours à un 3ème auteur en cas de désaccord. Les données recueillies comportaient pour chaque étude le nombre de patients inclus, leurs caractéristiques, et les caractéristiques de l’étude. Concernant le point de vue patient, les résultats retenus étaient uniquement ceux qui venaient directement du patient (exclusion des données des dossiers médicaux, et de celles rapportées par les soignants). Les 2 auteurs principaux ont ensuite réalisé une synthèse thématique, développant des thèmes descriptifs puis analytiques, avec recherche systématique du consensus en cas de désaccord. Pour les auteurs, le caractère exploratoire de ce travail ne leur permettait pas de juger de la qualité méthodologique des études incluses, ce qui peut bien entendu se discute. En suivant leur méthodologie, ils sont partis d’un pool de 3934 articles, dont 58 remplissaient les critères pour tester leur éligibilité, et 20 seulement répondaient à toutes les exigences précédemment décrites. Toutes les études retenues étaient postérieures à 2004, et avaient été réalisées dans les pays suivants : États-Unis, Royaume-Uni, Pays-Bas, France, Singapour et Australie. 12 études étaient qualitatives, sous la forme d’entretiens avec les patients, 5 étaient des études de type enquêtes transversales. Il y avait 2 essais randomisés contrôlés, et une étude d’intervention pré/post qui évaluait un outil pédagogique. 11 études concernaient des patients faisant directement face à la prise de décision sur leur traitement. 2 351 patients insuffisants rénaux étaient inclus dans l’ensemble des ces 20 études, mais malheureusement seulement 94 avaient choisi le traitement conservateur, pour 135 la dialyse, car 2 122 n’avaient pas encore finalisé leur choix. A noter que l’âge moyen et médian était ≥ 65 ans. La synthèse permettait d’identifier 3 thèmes majeurs et 10 sous-thèmes. Les 3 thèmes majeurs étaient dans l’ordre : sensibiliser à la maladie et au choix du traitement, l’aide à la décision, et les motivations du choix du TC. Sensibiliser à la maladie et au choix du traitement Ce thème comportait 3 sous thèmes, évalués dans ¾ des études. Le premier concernait le niveau de connaissance par rapport la progression de la maladie et à son pronostic. Dans l’ensemble, les patients manquaient d’informations sur la progression de la MRC, et souhaitaient plus de conversations ouvertes sur leur pronostic individuel. Par exemple, dans une étude sur 151 patients en pré-suppléance, 43 % ne connaissaient pas la survie attendue en dialyse ou en TC, et si elle pouvait être différente entre les 2 options. D’une façon générale, en cas d’incertitude sur le pronostic, les patients préfèreraient que les soignants partagent leurs doutes, et que l’information soit donnée plus tôt dans le suivi, avant la présentation des modalités de traitement, bien que cette connaissance puisse occasionner du stress (mais ne modifie pas leur mode de vie). Le second sous-thème concerne la connaissance du choix du traitement. Les patients sont nombreux à ne pas se souvenir s’ils ont eu une information sur l’option du TC. Dans une étude, française, basée sur la cohorte CKD-REIN, seuls 4,6 % des patients connaissaient le traitement conservateur, mais tous âges confondus. Le chiffre montait à 21 % pour les patients de plus de 75 ans, ce qui reste faible pour une étude récente. De façon intéressante, dans une étude menée à Singapour en 2015, 60 % des patients de plus de 75 ans étaient informés de cette possibilité de TC. Le dernier sous-thème était le moment de l’introduction du choix par rapport à l’évolution de la MRC. Les données sur ce sujet restent peu nombreuses, car seulement 2 études sur de petits effectifs (24 et 20 patients respectivement) décrivent le moment précis où les conseils sur le choix du traitement commencent à être donnés. Dans l’étude sur 24 patients de plus de 70 ans, ayant fait le choix du TC, l’éducation sur les options de traitement était débutée à partir d’un DFG < 20 mL/min/1,73m2, et 93 % des patients étaient satisfaits de ce choix. Dans la seconde étude 85 % se sentaient bien informés au moment de leur décision. Les effectifs sont faibles et dans les autres études abordant ce sous-thème sans préciser le moment, les opinions des patients sont divergentes, certains trouvant l’information trop précoce. L’aide à la décision L’aide durant le processus de choix permet au patient de considérer les bénéfices et les risques de chaque option de traitement. De nouveau, 3 sous-thèmes ont été identifiés par les auteurs. Le premier était les sources et le contenu de l’information. Sans surprise, l’information provient principalement des néphrologues et des infirmières spécialisées, avec le support de brochures et de réunions d’information. Lorsque les patients ont reçu une information par des proches ou les media avant de voir des soignants, cela génère souvent une impression négative sur la dialyse, jusqu’à croire que certains patients meurent à cause de la dialyse (rapporté dans 3 études). Malheureusement, une seule étude a considéré le rôle de l’information provenant d’autres patients, et n’en n’a pas rapporté de bénéfice, mais elle portait sur seulement 9 patients ayant choisi le TC. 3 études ont particulièrement évalué l’effet de programmes d’éducation et d’aide à la décision. L’une d’entre elles utilisait des scénarii de type « le meilleur et le pire » pour illustrer les options de traitement. Les patients appréciaient particulièrement la clarté de l’information sur le pronostic apportée par cet outil. Un essai randomisé, portant sur des patients > 75 ans, a évalué si un outil d’aide à la décision du patient spécifiquement sur le TC facilitait la communication entre les soignants et les patients sur cette modalité de traitement. Les patients recevaient soit l’éducation « standard » dans le groupe contrôle, soit le programme amélioré avec l’outil d’aide à la décision. Alors que seulement 3% des patients du groupe contrôle abordaient le sujet du TC avec leurs soignants, ils étaient 26% dans le groupe à l’étude, ce qui pose peut-être question aussi sur le niveau d’information du programme d’éducation « standard ». Le deuxième sous-thème concernait le type de communication et la terminologie utilisée. Les patients préfèrent un style de communication direct, qu’ils décrivent comme complet et clair, mais empreint de sensibilité et/ou empathie. Certains critiquent la répétition des mêmes informations, et le focus fait sur leurs examens de laboratoire au lieu de privilégier une approche individuelle. Sans surprise, une partie des patients ont l’impression que TC est synonyme de « ne rien faire » ou de « mort imminente ». L’option du TC est mieux perçue s’il est présenté comme reposant sur une équipe, et comme une approche active, considérant la personne dans son ensemble, avec pour cible de ralentir la progression de la maladie. Le troisième sous-thème est celui du rôle des patients, des proches et des professionnels de santé dans la genèse du processus de prise de décision. Le plus souvent, les patients ont l’impression d’avoir fait le choix final du TC par eux-mêmes, valorisant leur préférence de traitement comme l’élément le plus important, avec une prise de décision autonome. Mais dans le même temps, ils préfèrent impliquer leurs proches et se sentir supportés par eux dans leur décision. Plusieurs études décrivent encore une relation asymétrique entre les patients et leurs professionnels de santé, les patients se sentant poussés à choisir la dialyse et ne s’autorisant pas la remise en question des recommandations des soignants. Dans l’étude menée à Singapour, la moitié des 151 patients donne l’opinion du professionnel de santé sur le « meilleur traitement » comme étant le facteur principal de son choix, et changerait d’option de traitement si on lui recommandait. Cela montre à quel point cette impression de choix autonome peut être empreinte de subjectivité, et le rôle central que garde le professionnel (souvent le médecin) dans le processus de décision. Les motivations du choix du traitement conservateur Ce dernier thème comprend 4 sous-thèmes. Le premier concerne la qualité de vie et la notion de fardeau du traitement lié à la dialyse. Même si les patients les plus âgés avancent comme raison du choix du TC le sentiment d’avoir eu une vie bien remplie et ne pas vouloir forcément la prolonger, ce choix reste souvent lié aussi à un rejet de la dialyse, à la perception d’un traitement douloureux, pénible, interférant avec leur vie habituelle. La pénibilité des transports itératifs, le souhait de passer moins de temps à l’hôpital et/ou de voyager librement sont également cités. A contrario, certains patients considèrent que la dialyse permettra une meilleure qualité de vie et survie. Le deuxième sous-thème explore la notion de fardeau pour les proches et le système de santé. Les patients ne souhaitent pas être une charge pour leurs proches, devenir dépendants d’eux, et certains expriment le souhait de privilégier le bien-être de leur famille plutôt que l’allongement de leur vie. Dans certaines études, cela apparait comme la principale raison de ne pas débuter la dialyse. Le poids pour le système de santé est parfois cité, ce qui fait le lien avec le troisième sous-thème, qui est le cout du traitement, en particulier la dialyse. Cet aspect est exploré seulement par 3 études, toutes menées à Singapour, ce qui limite considérablement la portée et l’interprétation possible. Le dernier sous-thème est celui du potentiel remords lié à la décision du TC. La plupart du temps, les patients sont satisfaits d’avoir choisi le TC, et estiment avoir eu un niveau d’information suffisant au moment de faire leur choix. Cependant, ces mêmes patients pensent que la communication sur les options thérapeutiques pourrait être plus précoce, et individualisée. Une étude a exploré particulièrement le processus de décision partagée. Elle a montré que plus l’on allait loin dans ce processus, plus le patient se sentait bien informé, satisfait de la prise en charge médicale, et certain d’avoir pris la bonne décision. Comme un bémol sur cette thématique, certains patients se sont sentis forcés de choisir le TC, et d’autres voient cette modalité comme une stratégie temporaire, qu’ils pourront délaisser pour débuter la dialyse si cela correspond à un changement de leurs objectifs personnels. Les auteurs considèrent avoir publié la première revue de la littérature centrée sur la perspective des patients sur le TC. Sur la thématique de la sensibilisation à la maladie et au choix du traitement, on peut voir que trop souvent encore, les patients, même les plus âgés, ne sont pas au courant de la possibilité du TC. L’information sur cette modalité de prise en charge peut être inexistante, ou proposée d’une façon peu adaptée au patient, ce qui compromet le processus de décision partagée qui est dépendant de la connaissance de l’ensemble des traitements possibles. Du côté des soignants, la difficulté à savoir quelles informations donner sur la MRC et ses traitements a été rapportée dans de nombreuses études. Sur la question du TC, les principales difficultés sont de savoir comment aborder le sujet, dans quelle mesure le patient en face de soi peut bénéficier de cette modalité de traitement, la crainte de sa réaction lorsqu’on aura évoqué cette possibilité, et celle de ne pas avoir été bien compris. Les pistes d’amélioration sont de proposer aux professionnels de santé des formations à la communication, de développer des outils d’aide à la décision adaptés aux patients, et d’améliorer la connaissance du TC chez l’ensemble des professionnels concernés. Le moment adéquat pour débuter l’information et le conseil sur le choix de la modalité de traitement ne fait pas consensus chez les patients. Aussi les auteurs conseillent au minimum d’informer les patients rapidement sur le fait qu’ils auront un choix à faire lorsque leur fonction rénale se dégradera, ce qui leur donne l’occasion de se prononcer sur le moment où ils souhaiteront obtenir les informations nécessaires à ce choix. Les recommandations internationales mettent en avant la PDP pour le choix de la modalité de traitement de la MRC avancée. Pour se faire, il est crucial que les patients soient impliqués pour obtenir une décision vraiment commune, qui reflète leurs valeurs et leurs préférences. Pourtant, il ressort des articles étudiés pour cette revue que les patients se sentent encore dans une relation asymétrique avec leurs soignants, confrontés au pouvoir de la parole médicale, ce qui constitue un obstacle pour un libre choix du traitement. De la part du professionnel de santé, cela peut-être tout à fait involontaire, et simplement lié à la difficulté de masquer sa propre préférence de traitement pour un patient donné, aboutissant à un processus de « conviction implicite ». Enfin, des éléments comme la peur de la mort, ou des troubles cognitifs peuvent compliquer encore cette PDP. Alors que les patients sont nombreux à exprimer qu’ils ont pris leur décision en autonomie, il est surprenant de constater que le rôle des outils d’aide à la décision n’a été évalué que dans une seule des études. Un état des lieux récent sur les outils permettant aux patients avec une MRC de choisir leur modalité de traitement a montré que, sur 145 outils répertoriés, seuls 26 abordent le TC (Engels N, 2022). Les patients utilisant ces outils sont mieux informés et plus actifs dans le processus de choix du traitement. Sur le thème de la motivation à choisir le TC, on voit que des notions diverses et déjà connues sont citées, comme la qualité de vie, le sentiment d’une vie bien remplie, la crainte du fardeau du traitement pour soi ou pour les proches etc… Les auteurs recommandent devant cette diversité, d’amener les patients à exprimer leurs valeurs et leurs objectifs de vie pour les aider à prendre la décision qui convient le mieux à leur vie. Les différences de points de vue exprimées sur le TC doivent être analysées selon le contexte culturel et aussi temporel, comme le montre l’absence d’études antérieures à 2005. La place du TC dans les systèmes de santé est aussi importante, ce qui est illustré, rien qu’en Europe, par le fait qu’il y ait 0 % de patients en TC en Slovénie, pour 15 % en Hongrie. D’ailleurs, le fait que les études incluses ici n’aient été menées que dans 6 pays rend toute généralisation hasardeuse. Pour les auteurs, le fait de s’être concentré sur les données provenant directement des patients, avec une stratégie de recherche élaborée, en incluant à la fois des données qualitatives et quantitatives, donne de la force à cet état des connaissances sur le sujet. Ils reconnaissent cependant que les designs très différents des études incluses compliquent la comparaison des résultats, phénomène amplifié par l’hétérogénéité culturelle et géographique des populations étudiées. En conclusion, ils nous proposent une liste de recommandations pour aider les professionnels de santé à accompagner leurs patients dans le choix de la modalité de traitement qui leur convient le plus, en l’adaptant aux problématiques locales. Nous les avons résumées ci- dessous : Donner une information sur la MRC qui inclue une information sur le pronostic Créer un environnement propice à la prise de décision future bien en amont de la prise de décision réelle Rechercher le souhait du patient sur le contenu et le moment pour débuter l’éducation au choix des traitements, et lister toutes les options de traitement considérées comme « raisonnables » Fournir une information complète, honnête, dans la transparence, et construire une relation de confiance à travers la continuité de la prise en charge Encourager le patient à poser des questions et à être proactif dans le processus décisionnel, mais y impliquer aussi les familles et les soignants. Présenter le TC comme une approche active, basée sur une équipe. Aider les patients à exprimer leurs motivations à choisir particulièrement une modalité de traitement. Lecture critique de l’article : Micha Jongejan, Sanne de Lange, Willem Jan W Bos, Arwen H Pieterse, Wanda S Konijn, Marjolijn van Buren, Alferso C Abrahams, Mathijs van Oevelen, Choosing conservative care in advanced chronic kidney disease: a scoping review of patients’ perspectives, Nephrology Dialysis Transplantation, Volume 39, Issue 4, April 2024, Pages 659–668, https://doi.org/10.1093/ndt/gfad196.

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